Otilia Dartige Aller à l’essentiel
« Quand j’ai commencé à sculpter, seule, autodidacte, je ne voulais pas aller voir le travail des autres sculpteurs pour ne pas me laisser influencer ; je sculptais avec mes larmes. »
Après l’expérience du modelage de la terre, la taille directe lui ouvre de nouvelles perspectives. Rendre plastiquement palpable le vide qu’elle formule à l’intérieur d’elle-même, est-ce possible ?
Le matériau résiste, des formes naissent cependant.
Un nid qui fuit, un trou noir aux contours biseautés, la sensation du vide semble se cogner à l’ enveloppe en pierre blanche glisser sur ses parois concaves, comme une nacelle dans le creux de la vague en haute mer. Qu’est-ce que le vide se demandât Blaise Pascal ?
Eduardo Chillida tente un bras de fer avec l’imperceptible tout puissant. Des énormes segments, les poutres de métal miment l’étendue de la tâche, à Saint Sébastien en Espagne, au-dessus des flots.
La pierre blanche d’Otilia Dartige reçoit des entailles en creux, volumes travaillés, conçus dans l’intimité. Les formes ondulent poncées avec autant de douceur que la surface d’une pierre trouvée dans une rivière.
La chose métaphysique dont elle polie avec amour les contours, la pierre ne peut pas la dire. À l’intérieur d’elle-même demeure, le vide cosmique
« Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même ? » Le philosophe janséniste préfère ne pas en douter.
L’artiste le formule à travers des métaphores. Sans croquis préalables, sans penser à priori, elle creuse, allonge le bois, l’effile, le torsade, l’ampute de sa masse, le rends léger, le fait pointer vers le soleil comme l’aspiration d’une plante. Mais quels manques et désirs ressent au juste une plante, nous ressemble-elle un peu ?
La volonté la plus chère de l’artiste c’est d’arriver à tirer la matière jusqu’à sa disparition, atteindre l’évanescence de l’objet. Elle change de matériau, elle essaye : « Le métal me permet d’étirer la forme sans fragiliser la matière, interpeller le vide que je formule à l’intérieur de moi, la forme qui reste m’importe peu ».
L’artiste vit la création comme une prolongation d’elle-même, comme le miroir incontestable de son âme qui fait des bonds.
Il y a l’étreinte, le masque qui regarde, il y a dans cette sculpture, la traduction des actions abstraites : se détacher, fusion…
Pendant des années, le fait de nommer telle ou telle oeuvre signifiait pour elle diriger le regard du spectateur et de enfin compte de l’aveugler.
Aujourd’hui, en leur donnant un titre, elle leur accorde une identité propre, une vie en dehors de l’atelier. Elle a coupé le cordon ombilical qui unissait la création à son créateur.
Que veut dire sa sculpture ?
Aller à l’essentiel: « La simplicité n’est pas un but dans l’art, mais on arrive à la simplicité malgré soi en s’approchant du sens réel des choses. » Écrivait Constantin Brancusi un artiste qu’elle admire avec lequel elle a des affinités…
Ileana Cornea, Paris, mai 2002