Le retour des jeunes peintres contemporains au dessin, à la figuration et à la narration, nous pousse à nous demander mais alors, qu’en est-il aujourd’hui de cette autre perspective picturale qu’est l’abstraction ? Plutôt de la non-figuration, car tout art est par essence une abstraction : Pour peindre la beauté d’Hélène, Zeuxis examine les plus belles vierges de Cortone. Il en choisit cinq pour extraire d’elles, ce que chacune avait de plus beau.
Si l’on croit en la petite aquarelle de Kandinsky conservée à Beaubourg que le peintre avait daté de 1910, cela fait cent et un an que la non-figuration est née. Les images créées par Roseline Lê Minh visent-elles cette suspension du regard que nous offre la peinture abstraite ?
Ses œuvres les plus récentes l’artiste les appelle l’univers de ma lumière.
L’émerveillement de l’artiste nouveau réaliste Raymond Hains devant les décorations lumineuses de Noël dans les rues de Paris ses amis ne sont pas prêts de l’oublier… L’accumulation de lampions à ses yeux c’était du Nouveau Réalisme, c’est magique ! s’exclama-il. C’est comme si l’on regardait les flammes dans une cheminée, un feu d’artifice, les effets lumineux d’une lanterne magique, ou bien les constellations à travers une longue-vue.
Dans les années vingt, le plasticien hongrois László Moholy Nagy cherchaient à élever la lumière au rang de création autonome, il voulait donner une nouvelle forme au monde visuel. L’âge du numérique l’aurait fasciné, mais quel type d’humanisme cet art conçu à l’ordinateur porte-il en lui ?
Roseline Lê Minh vient de la non-figuration traditionnelle. Elle connaît la matière qu’elle prépare la faisant épaissir comme du pain. Elle la déploie dans des méandres déchiquetés avec leurs craquelures, comme la terre qui sèche au soleil. À ses œuvres, elle donne des respirations. Elle les nourrit d’eau et peu à peu la matière disparaît. Veut-elle s’en libérer ?
Tout laisse à penser que l’artiste cherche à abolir l’apesanteur, et faire disparaître la moindre référence à la réalité. Ses photographies des pétales de fleurs pointent leur transparence.
À travers la manipulation de l’image digitale, elle joue avec la trace presque spectrale de la couleur annonçant la dématérialisation des objets et de la réalité. Vise-elle à atteindre les vérités d’ordre physiques compréhensibles par le calcul mathématique ?
Souhaite-elle faire visuellement place à la notion du temps et de l’espace, telle la lumière qui nous parvient des profondeurs de l’univers alors que l’étoile que l’on voit dans la nuit est depuis des millions d’années disparue ?
Toute la poésie de son travail consiste dans l’immersion totale du regard dans le microcosme : Pénétrant la matière, la pulvérisant, la traversant pour explorer les dessous de son opacité, ses mouvements et sa vitesse. Voyager à travers la matière en se perdant dans son infinité comme dans une spirale, dans ses volutes, comme dans la pièce intitulée Le rêve .
Les couleurs de ses images sont vives provoquant des géométries aléatoires, comme un écran brouillé.
Ses effets lumineux nous font penser à une autre drôle d’histoire.
La trame du tissu qui se tisse, comme le langage qui tresse sa trame, mais chez Roseline Lê Minh, la trame s’effiloche et brûle d’elle-même.
Ces images évoquent le processus de la disparition de l’image, la disparition du discours pour atteindre le degré zéro de la peinture, le degré zéro du discours, la consumation du réel et nous faire entendre la musique des sphères des Pythagoriciens.
Ileana Cornea, novembre 2011