« Le corps, l’unique, le vrai, l’éternel, le complet, l’insurmontable système de référence. » Écrit Paul Valery dans ses carnets. »
Il est là, présent, depuis la nuit des temps. Les empreintes de mains dans la grotte de Gua Masri (Indonésie) jusque-là mystérieuses se révèlent être des mains d’homme et de femme. Les murs de la préhistoire parlent à nouveau. Les empreintes dévoilent leur secret.
De l’empreinte, Lilianna Guderska en fait l’outil principal de son art. C’est dans la proximité de soi que l’artiste est la plus confiante: « j’ai commencé le moulage afin de me rapprocher tactilement de mon corps. »
Le corps dans le travail d’une artiste femme a toujours quelque chose à dire, à préciser, à revendiquer, à démontrer. La tradition, la culture même avait exalté le corps de la femme sans qu’on lui demande son avis. As-t-on vraiment su qui était Hélène, l’inspiratrice d’Homer ?
Orlan, à la recherche d’une beauté autre n’hésite pas à modifier son visage. En 1969, Gina Pane « tranquille, affirme la conscience qu’elle possède de son existence et de son corps, les poings serrés, le regard lointain visant au-delà de l’image » écrit Elisabeth Lebovici dans son ouvrage intitulé Femmes artistes/ artistes femmes.
Pendant plusieurs années Lilianna Guderska a travaillé comme mannequin au quatre coins du monde. Inspiré par sa propre autobiographie, son propos sur le corps féminin est éloquent :« Dans notre société, le corps est en crise » dit-elle.
Ses travaux sont des métaphores déclinant la porté de cette idée. D’un support à un autre,
l’artiste invente une poésie du corps en prise avec le temps qui le harcèle, inexorablement.
Ingénieuse, et ironique, « La machine à vieillissement mobile » fait défiler des morceaux de corps moulés dans du silicone, matériau résistant, utilisé en chirurgie esthétique. La clientèle peut venir choisir ce dont elle a besoin pour faire peau neuve. Il faut qu’elle s’y presse. À chaque rotation de la machine, des gouttes de cire laissent leurs empreintes indélébiles sur les prothèses qui exhibent la perfection de leur forme. Elles se déforment et vieillissent aussi.
Dans une autre de ses pièces, l’artiste moule son corps dans la cire. Dans un paysage hivernal, une nuit de la pleine lune, elle filme ce corps à sa propre effigie en train de se consumer sous la flemme. La proposition est romantique au possible, le temps qui passe, la mélancolie de la disparition, et beauté de l’image.
Lilianna Guderska crée une poétique symbolique où elle oppose la nature et la culture, la pression d’une société exaltant des valeurs intenables à la réalité existentielle de l’être humain. Les matériaux qu’elle utilise, comme le silicone et le latex témoignent de la plus haute technologie. La cire au contraire est une substance naturelle et cultuelle. Dans toutes les religions les chandelles, les bougies, les cierges, sont indissociables au culte du feu et de la lumière.
Dans Ecorchures, les corps féminins sont peints avec de la cire et de l’huile. La blessure sur le ventre de la femme représentée semble cachetée comme un secret. Dans sa sérigraphie intitulée Peaux, elle se sert du latex pour imprimer les formes d’un corps de femme vieillissant.
L’implication physique de l’artiste dans son travail l’inscrit dans la tradition de l’art corporel.
La simplicité et la justesse de ses performances nous touchent.
Ileana Cornea, Paris décembre 2010