Paul CÉZANNE, « La corbeille de pommes »
Paul Cézanne est un peintre qu’on ne présente plus et sa « Corbeille de pommes » illustre bien notre encyclopédie sonore des artistes majeurs de l’histoire de l’art.
Lauranne Corneau vous propose ici de découvrir ce tableau : Rien de plus banal en apparence que cette corbeille de pommes…
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Texte intégral du commentaire, par Lauranne Corneau :
Paul Cézanne, « La corbeille de pommes »
Sur une table en bois, placée devant un mur gris-vert neutre, une bouteille dressée, des biscuits prêts à être servis, des pommes. Des pommes s’amoncelant dans un panier en déséquilibre, et des pommes ayant roulé sur la nappe, négligemment disposée sur le bord de la table. Rien de plus banal que cette nature morte intitulée La Corbeille de pommes, tout droit sortie du monde quotidien. Seulement voilà, il faut imaginer que le peintre aixois Paul Cézanne a passé plusieurs jours à réaliser cette image, pourtant pleine de simplicité. C’est dire l’importance capitale que revêt ce motif pour lui. Sur un millier d’oeuvres produites, les natures mortes ne représentent pas moins du quart de sa production !
Vous pouvez vous amuser à compter le nombre de pommes présentes au sein de la composition. Il y en a plus de trente ! La pomme, en réalité, est le fruit qui a la préférence de Cézanne. Il l’a peinte tout au long de sa carrière parce qu’elle signifie beaucoup pour lui. La pomme est avant tout un souvenir d’enfance, un présent offert par son ami Emile Zola souhaitant exprimer sa reconnaissance envers le petit Paul qui l’avait défendu des moqueries de ses vils camarades de classe.
Ensuite, impossible d’occulter la place hautement symbolique de ce fruit, qui hante l’histoire depuis ses origines : fruit défendu du péché originel, fruit de la discorde ayant mené à la guerre de Troie : chaque fois, la pomme est liée au thème de la séduction féminine. Ceci n’en demeure pas moins vrai pour Paul Cézanne qui, loin d’être un noceur invétéré, entretient un rapport compliqué avec les femmes. Bien que marié, à contrecœur il faut dire, à Hortense en 1886, il éprouve pour la gente féminine une attirance teintée d’admiration, mais qui resteront distantes. La pomme serait à cet égard, grâce à ses formes pleines et toutes en rondeur, le lieu d’un transfert érotique, au sens psychanalytique du terme. Notons également que, d’un point de vue pictural, elle est plus intéressante pour lui que l’être humain, puisque Cézanne demandait à ses rares modèles de se « tenir comme une pomme » !
Enfin, la pomme est pour l’artiste une métaphore. Il réalise cette oeuvre en 1893 : cela fait plus de trente ans qu’il s’est rendu à Paris pour devenir artiste, retournant de temps à autres se ressourcer dans sa Provence natale. La capitale est à l’époque une véritable plaque tournante, un lieu d’effervescence, l’endroit où se font les réputations. Cézanne rend ici hommage à cette ville, qui tout à la fois l’attire et le déçoit. La pomme est en effet un fruit « parisien », robuste et charpenté, en comparaison à la fragilité des fruits provençaux. Elle incarne cette ville mieux qu’un paysage ne saurait le faire. En outre, son prix est bas, et sa durée de vie assez longue, ce qui permet à Cézanne d’échapper aux vicissitudes du recours au modèle vivant, cher et non immobile. Dans ce contexte, la pomme s’érige aussi en arme et en provocation. Cézanne avait déclaré : « Je veux étonner Paris avec une pomme » ! Ainsi, le choix d’un motif aussi simple est pour lui l’occasion déguisée de révolutionner la peinture. Avez-vous remarqué la façon dont Cézanne a orchestré le réel ? Le panier est en équilibre instable sur un support, de manière à rendre visible son contenu, les biscuits sont parfaitement disposés sur l’assiette, elle-même rehaussé sur un livre, et les pommes se cachent parfois dans les plis cassés d’une nappe savamment disposée par la main de l’artiste. Tout est construction, et pourtant Cézanne déconstruit : la bouteille penche, et le bord de la table n’est plus visible en partie gauche. L’espace se redresse dangereusement, comme pour adhérer à la surface de la toile. L’arrangement, donc, est double : il est matériel, puis mental. Car ce qui importe à l’artiste, alors en passe de connaître la célébrité, c’est de transcender la réalité par ce qu’il nomme la « sensation ». La sensation qu’il ressent face à la nature est retranscrite dans l’harmonie qui règne entre des couleurs vives (rouge, vert, jaune) et des formes géométriques fortes. Il eut à ce propos des mots qui sont restés célèbres : « tout dans la nature se modèle selon la sphère, le cône et le cylindre ».
« Ce fut comme si je recevais un coup à l’estomac » : le choc décrit par le jeune marchand Ambroise Vollard fut tel qu’il décida non seulement d’acquérir cette oeuvre parmi d’autres, mais surtout de propulser son artiste fétiche sur le devant de la scène grâce à trois expositions monographiques. Et c’est ainsi que, de fil en aiguille, Paul Cézanne, par son art de conjuguer au sein de la toile des points de vue contradictoires et de tout réduire à des formes géométriques simples, a pu jouir de manière posthume d’une place capitale dans l’histoire des avant-gardes, à tel point que Picasso dira de lui : « il était comme notre père à tous »…
Lauranne CORNEAU