Edgar DEGAS – Le bain
Ce pastel d’Edgar Degas que vous pouvez admirer au musée d’Orsay appartient à une série de sept, peints autour du thème de la femme à sa toilette. Lauranne Corneau vous invite à observer cette femme, nue, courbée, occupée à sa toilette…
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Texte intégral du commentaire, par Lauranne Corneau :
Edgar Degas, « Le bain »
Cette oeuvre est telle un havre de paix, un lieu de sérénité et de bien-être : vous pouvez y observer une femme, nue, courbée, occupée à sa toilette, entourée d’objets usuels ou décoratifs, dans un intérieur chaleureux aux couleurs chatoyantes, baigné d’une lumière douce. Qui est-elle ? Que fait-elle exactement ? Et pourquoi l’artiste a-t-il choisi de la présenter d’une manière si insolite ?
Le peintre Edgar Degas présenta à la dernière exposition impressionniste, en 1886, une série d’oeuvres totalement inattendues et radicalement novatrices, à laquelle l’oeuvre qui vous fait face s’apparente. Ce fut quasiment la seule fois qu’il les exposa, tant à cette occasion elles diffusèrent un parfum de scandale. Pourtant, l’oeil du XXIe siècle, habitué à ces images, n’y voit plus rien de corrosif. Degas, d’ailleurs, a recours à de nombreux éléments rattachant l’oeuvre à la tradition. Il se livre avec brio à un éloge de la belle forme par divers moyens : la suprématie du dessin grâce, notamment, à l’utilisation du pastel, la référence à Ingres et son Bain Turc, l’ordonnance harmonieuse de la composition, les natures mortes d’objets, ou le thème, qui évoque la vogue antique des Vénus au bain.
Mais la femme décrite n’est justement pas une Vénus, et le public de l’époque ne s’y trompe pas. Degas a délibérément choisi d’ancrer son personnage non pas dans un récit fabuleux, exotique ou historique qui serait un prétexte à l’étude du nu, mais bel et bien dans le quotidien le plus banal, le plus trivial qui soit, car il s’agit seulement d’une ablution. La volonté de l’artiste de décrire une situation de la vie ordinaire sous forme de constat, sans effets dramatique, rattache l’image au mouvement naturaliste qui, à la même époque, offre une révision en profondeur du genre littéraire. Par-delà la banalité des modèles et le prosaïsme des gestes, c’est la vraie vie d’une anonyme qu’il dépeint. Et cela ne manque pas de choquer, car chacun peut aisément se reconnaître dans ce moment hautement intime, qui n’a jamais eu prétention à se hisser au rang de sujet artistique.
Degas ne s’arrête pas là. Observez le point de vue et le cadrage de l’image : les découpages abrupts auxquels il procède, ainsi que le moment et l’endroit qu’il choisit relèvent d’une double influence. Celle des estampes japonaises, d’une part, adulées par les artistes modernes pour leur audace de composition étrangères aux conventions occidentales ; et celle de la photographie, d’autre part, qui appréhende l’espace et le temps d’une manière radicalement nouvelle. L’image photographique est en effet un prélèvement d’une part de réel qu’elle ne peut englober totalement, jumelé à un rendu séquentiel d’un geste continu. Ce geste, pris sur le vif, s’apparente à un instantané photographique avant l’heure.
Mais c’est par-dessus tout l’absence de communication entre le spectateur et la femme qui dérange. Privée de toute identité, réduite à son seul corps, la femme devient un objet, un petit animal, ou un élément de décor comme un autre que Degas se plaît à scruter dans toutes les positions.
Enfin, avez-vous remarqué qu’elle semble ne pas avoir conscience de notre présence ? L’artiste joue avec nous, et nous place ici en position de voyeur : la femme semble épiée comme à travers le trou d’une serrure… Le spectateur est pris au piège !
Pourtant Degas se livre ici à une véritable mise en scène, puisqu’il n’a jamais partagé la vie d’une femme, et n’a donc jamais pu assister spontanément à ces gestes quotidiens. Bien au contraire, il a fait venir un modèle, l’a payée pour qu’elle prenne la pose, et a savamment orchestré l’image, qui n’a plus rien de naturel. Nous sommes finalement loin, ici, de la sensibilité naturaliste !
Ces oeuvres, que Degas ne montra plus, furent ainsi isolées du regard de la critique, et peuvent à ce titre être considérées comme le creuset de ses innovations picturales les plus audacieuses. Certains artistes comme Paul Gauguin, Pierre Bonnard ou Pablo Picasso eurent le privilège d’en voir quelques-unes, et, créant sous leur influence, eurent à coeur de faire de Degas le passeur entre une grandeur académique s’effritant, et une avant-garde picturale naissante qui ne tardera pas à bouleverser la notion d’art toute entière.
Lauranne Corneau