Musée de Cluny – La dame à la licorne
« Le Baiser » d’Auguste Rodin figure en bonne place dans notre encyclopédie sonore qui mêle courants artistiques du XXè siècle, artistes majeurs de l’histoire de l’art, et artistes d’aujourd’hui que nous aimerions vous faire découvrir.
Lauranne Corneau vous invite à écouter cette expression la plus aboutie d’un thème éternel et universel, l’amour…
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Texte intégral du commentaire, par Lauranne Corneau :
Musée de Cluny – La dame à la licorne
L’œuvre que vous admirez est une tenture fort célèbre, composée de 6 tapisseries conservées au Musée de Cluny. Elle est présentée dans une petite salle à part, et assez sombre… ce qui augmente le mystère dont joui cette œuvre depuis son entrée au musée, en 1883. Mais en quoi est-elle mystérieuse ?
Conçue à la fin du Moyen-âge, aux alentours de 1500, la tenture revêtait plusieurs fonctions : elle a d’abord probablement été offerte en cadeau aux propriétaires du château d’Arcy, qu’elle ornait. Outre ses atouts décoratifs soulignés par le fond « mille fleurs » – caractérisé par la présence d’une multitude d’animaux, de fleurs et d’arbres – elle servait aussi à protéger du froid. Mais enfin, découverte par Prosper Mérimée au château de Boussac dans la Creuse en 1841, elle surtout remarquée pour son iconographie qui a, depuis, fait couler beaucoup d’encre…
Il est communément admis que 5 des tapisseries représentent les sens humains : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher. Une jeune femme blonde et mince, adoptant le canon de beauté de l’époque, se livre à divers gestes allégoriques y ayant trait, en compagnie d’animaux. Mais la 6e tapisserie, perçue comme une conclusion, est plus sibylline : la même jeune femme blonde semble sortir d’un coffret un bijou luxueux, devant un pavillon qui arbore la devise « A mon seul désir » – ce qui s’accorde bien, au demeurant, avec la thématique de la jouissance empirique. Toutefois, plusieurs indices héraldiques et allégoriques nous permettent de mieux saisir le contexte de la commande de l’œuvre et d’en faire découler un nouveau sens. Le blason parcourant la tapisserie ; le lion, symbole royal de domination ; et la licorne, symbole de chasteté, ne font aucun doute : il s’agit d’une tapisserie célébrant le mariage d’un Leviste, illustre famille dont les membres étaient investis de charges importantes dans l’administration du roi Louis XI. Ainsi, sur la 6e pièce la jeune épousée, plutôt que de se parer d’un bijou, est en train de s’en dépouiller, affirmant par sa seule volonté la liberté de refuser les passions liées aux sens.
Enfin, la vérité semble bel et bien rétablie. Et pourtant…
Regardez l’œuvre en profondeur, fouillez-la de l’œil, car vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! Aviez-vous remarqué les innombrables symboles amoureux qui parsèment les tapisseries ?
Certains de ses animaux ont une fonction morale, qui tantôt accuse l’usage des sens (la nature sauvage non réprimée du singe, le discours rusé du renard, l’amour charnel du lapin), ou tantôt valorisent la tempérance (l’amour conquis des animaux à colliers, ou la fidélité du chien).
En outre, l’artiste a semble-t-il voulu mettre l’accent sur le bonheur promis par l’union conjugale, en réconciliant des couples d’animaux ennemis ; tels que le lapin et le lionceau, le renard et l’agneau. Mais avez-vous noté que les lances de combat sont levées, impliquant un combat imminent ? Il s’agit d’un iconographie fort répandue depuis le Roman de la Rose, sorte de bestseller médiéval paru plus de 200 ans auparavant, et qui insiste sur la notion de conquête comme prélude incontournable à l’état d’amour. Ici, le jeune homme doit encore séduire sa dame. Ayant ainsi placé la scène dans un contexte purement amoureux, la devise « A mon seul désir » n’aurait-elle pas, encore une fois, un autre sens, plus érotique cette fois ? En effet, il est possible de voir dans les formes ornant le pavillon des flammes, évoquant le feu ardent de la passion. La consommation du mariage n’est-elle pas évoquée dans la confrontation du lion, symbole de l’amour viril, et de la licorne, allégorie de la pureté et de la virginité ? Ainsi, la dame ne se dépouillerait pas simplement de ses biens matériels, mais bel et bien de toute sa parure, avant d’entrer là où l’attend l’amant : dans le pavillon, bien gardé par le chien, symbole de fidélité amoureuse et allégorie des promesses formulées lors du mariage.
Nous voici donc face à une tenture d’apparence décorative, et qui pourtant se prête à de multiples interprétations, ceci témoignant aussi bien de la dextérité des artistes qui l’ont créée que de l’érudition des commanditaires, et appuie ainsi la valeur de chef-d’œuvre qui lui est reconnue.